C'est particulièrement vrai et visible pour les éphémères (d'où leur nom...

), mais c'est globalement vrai pour de nombreux ordres, comme les coléos, ou, encore, les cigales (les nôtres sont pas mal, mais les américaines du genre
Magicicada sont des championnes !

).
Pour parler en jours, ou en mois, une éphémère qui vit environ 730 jours (2 ans) va passer 2-4 jours à l'état "adulte", et le reste, soit 726 jours, en tant qu'"enfant". Soit à peu près 99,5% de sa vie en temps que
juvénile. Une autre façon de le comprendre, c'est de voir que 99,5% de la population est composée de
juvéniles, en général cachés dans l'environnement. C'est exactement le contraire des vertébrés, mammifères compris, mais tout particulièrement les oiseaux. C'est comme si, une personne vivant 76 ans n'atteignait sa maturité sexuelle qu'à 75 ans et 7 mois, et ne pouvait se reproduire que durant les cinq derniers mois de sa vie (soit un peu plus de 0.5% de sa durée de vie, comme pour les éphémères).
On aurait une société structurée très différemment, sans doute, avec une population active beaucoup plus productrice, et incapable de se reproduire, et des vieillards obsédés par le sexe qui ne penseraient probablement à rien d'autre, pas même à se nourrir, tenant les quelques mois qui leur restent sur les réserves déjà accumulées... C'est très différent de ce que l'on vit, mais cela marche
aussi, et c'est la raison primordiale pour laquelle cela peut exister.
Ce n'est pas sans conséquence sur notre activité, et ça explique un paradoxe apparent, qui est celui du prélèvement des individus : pour préserver une population d'insectes, ce sont les
juvéniles, qu'il faut cibler, la préservation des adultes, louable, n'a pas d'effet notable sur la survie de la population. Or, la préservation des
juvéniles passe par la sauvegarde du
milieu, qui nécessite une
connaissance de la biodiversité, qui ne peut souvent s'acquérir que par le prélèvement d'adultes.
Si on compare ça avec, disons, un oiseau, qui va vivre 25 ans et atteindre sa maturité sexuelle à 1, la population est composée à 96% d'adultes reproducteurs. Le prélèvement complet d'adultes détruirait 96% de la population, qui risquerait fort de ne pas s'en remettre. En revanche, concernant les insectes, même si l'on prélevait tous les adultes d'un milieu (ce qui est rarement le cas), la population ne serait probablement pas notablement affectée (il y a des exceptions...) ; et si ce prélèvement peut permettre de faire progresser les connaissances, et de protéger le milieu contenant les
juvéniles...
On a l'exemple en France, avec le Titan (en Guyane) qui est protégé, car recherché par les collectionneurs : il est interdit de prélever les adultes. Cela dit, couper le bois (où vit la larve...) est autorisé. Bilan : l'espèce disparaît, et cette protection n'est pas très efficace. Pourtant, ça fonctionne lorsqu'il s'agit de préserver des vertébrés, comme des oiseaux, ou des poissons...
Bilan : quand on veut protéger une espèce, il faut l'étudier, et la législation doit s'adapter à la biologie, car sinon, la protection légale ne sert à rien, elle peut même avoir l'effet inverse...
