Bon, ben si Edessa ne répond pas, je vais devoir m'y coller...
Les couleurs
aposématiques sont remarquables par les Vertébrés, qui ont une vision qui permettent de l'apprécier : Lézards et Oiseaux, donc.
Pour les prédateurs arthropodes, rien n'est moins certain, mais qui dit que ces bestioles ne disposent pas, en plus des couleurs que nous percevons, d'un autre mode de signalétique (chimique, ou autre...), pas forcément perceptible par nous, mais remarqué par leurs congénères arthropodes... Après tout, les abeilles voient bien une "piste d'atterrissage" en pointillés là où nous ne voyons qu'un pétale blanc, uni, chez les Lis, par exemple...
Donc, pour ce qui est de savoir si insectes et araignées savent reconnaître un insecte toxique quand ils en rencontrent un, je dirais que la réponse est :
Ensuite, pour ce qui est de la toxicité même, il faut savoir que l'aposématisme (= l'exposition de couleurs vives et surtout contrastées, chez les espèces toxiques, comme un avertissement envers les prédateurs) va de pair avec la notion d'apprentissage, et donc de dupe et de mime : il existe de nombreux exemples d'espèces
aposématiques pas ou peu toxiques, qui "imitent" les couleurs d'un autre, toxique, lui. C'est une question d'équilibre : tant qu'il n'y a pas trop (la notion de "trop" est très relative) de mimes par rapport aux modèles, la probabilité de rencontrer le modèle plutôt que le mime reste plus élevée, et le prédateur apprendra à s'en méfier.
Cela se passe aussi à l'intérieur d'une même espèce : les
Lygaeinae ne sont pas naturellement toxiques, ils le deviennent par l'ingestion des plantes toxiques dont ils se nourrissent, et dont, non seulement ils sont immunisés aux substances toxiques, mais encore qu'ils sont capables de stocker dans leur propre organisme pour se rendre eux-même toxiques. Cela a été démontré à plusieurs reprises, pour plusieurs toxines de plusieurs espèces de plantes chez plusieurs espèces d'insectes, et est probablement généralisable à l'ensemble du groupe et des toxines.
Ainsi,
S. furculus, par exemple, se nourrit en Europe de
Solanum (
Solanum nigrum, mais aussi
S. villosum, et peut-être aussi d'autres espèces, je suis en train de bosser dessus...),qui contiennent de la solanine, une molécule dont l'inocuité n'a jamais été vérifiée chez eux ; cependant, pour avoir examiné peut-être des centaines ou des milliers de plants jusqu'à présent, je n'ai pu y observer que trois espèces d'arthropodes jusqu'à présent,
S. furculus,
Aphis solani, et beaucoup plus rarement
N. viridula, encore que celle-là, je ne l'y ai jamais vue se nourrir ou se reproduire, et c'était sans doute seulement accidentel.
Mais tous les
Lygaeinae ne se nourrissent pas forcément de plantes toxiques, et donc, ne deviennent pas forcément toxiques eux-même, pourtant ils conservent leurs couleurs
aposématiques... Une piste, à mon avis, beaucoup plus intéressante à creuser que de vérifier une par une les molécules toxiques afin de déterminer si elles sont bien inoffensives et stockées chez les espèces, c'est de trancher le lien un peu particulier qui lie les
Lygaeinae avec les plantes de la famille des
Asteraceae : de nombreuses espèces, pas forcément en Europe, sont connues pour se développer sur des
Asteraceae, comme
Neacoryphus bicrucis sur
Senecio, ou
Lygaeus turcicus sur
Helianthus ; du côté des espèces les plus polyphages de chez nous,
S. saxatilis et
S. pandurus sont régulièrement observés liés à des
Asteraceae jaunes,
Taraxacum,
Sonchus, etc.
De même pour
L. equestris, c'est sur les "pissenlits" (qui, en réalité, n'en sont pas...), les diverses
Sonchus,
Crepis, et pourquoi pas même
Tragopogon qu'on a le plus de chance de les rencontrer.
On peut même y trouver le beaucoup plus spécifique
S. furculus, qui habituellement fait plus la fine bouche : je l'ai observé en
sympatrie avec
S. pandurus sur
Sonchus, et, si je n'ai pas pu observer ni prise alimentaire, ni larve, j'ai en revanche pu constater qu'il y avait accouplement...
Vivas cite l'abondance de
S. furculus sur
Asteraceae jaunes, notamment
Dittrichia viscosa, et suppose une alimentation sur le pollen. A Nice, où les deux espèces sont très abondantes, je n'ai jamais pu observer cette association, en revanche,
S. furculus s'observe très régulièrement sur
Senecio inaequidens (tout particulièrement hors des périodes de développement de
Solanum...), une autre
Asteracea jaune, dont je peux affirmer, si je n'ai jamais observé d'accouplement, qu'il consomme du moins le pollen ainsi que les graines.
Or, ce qui est intéressant, c'est que toutes ces
Asteraceae, surtout les jaunes, ne sont habituellement pas toxiques, mais laticifères, et produisent des molécules amérisantes, qui sont beaucoup,
beaucoup plus intéressantes lorsque l'on pratique l'aposématisme : si l'on veut enseigner que l'on est immangeable, mieux vaut susciter un dégoût immédiat, qui entraîne la survie du prédateur (et potentiellement de la proie, tout dépend de la violence de l'attaque), ce qui peut donc entraîner apprentissage, et peut-être même transmission des savoirs, que d'être toxique et d'entraîner, en une sorte d'effet de vengeance perverse, la mort après coup du prédateur, qui ne nous sauvera plus : je suis bien placé pour savoir qu'un élève mort n'apprend plus rien...
Du coup, si plusieurs expériences (oiseaux, lézards) ont pu démontrer une baisse de la prédation des punaises
aposématiques (y compris les
Lygaeinae) par les prédateurs Vertébrés, on pourrait également supposer que ce n'est pas le seul mécanisme à l’œuvre, que que des agents amérisants ou répulsifs d'une quelconque façon, issus des
Asteraceae, pourrait également y contribuer. Quant à savoir si des Arthropodes y sont sensibles...
En ce qui concerne le cas bien précis de la dite punaises qui joue avec le feu sur la toile (il y a un jeu de mots à faire, pour les plus téméraires, je vous ai tendu la perche...), je dirais que ce n'est pas tant de savoir si l'
araignée "sait" qu'il ne faut pas manger la punaise qui tombe dans sa toile, que si la
punaise "sait" qu'il ne faut pas tomber dedans... Rappelons que le principe même d'une toile d'araignée est d'être invisible (au moins lors de sa formation) aux insectes, et que les toiles d'araignées contiennent souvent des objets tombés dedans (débris végétaux, notamment, mais aussi certains animaux) dont elles ne se soucient pas, sachant pertinemment qu'ils sont immangeables... Dans le cas de la punaise, si d'aventure elle tombait dans la toile, l'issue en serait certainement fatale, et finir mangée ou non serait le cadet de ses soucis, car elles ne manquerait quoi qu'il en soit probablement pas d'y mourir empêtrée, sans avoir pu s'en échapper, même si elle désintéressait l'araignée...
Donc, quoiqu'il en soit, l'aposématisme n'est pas d'une très grande aide quand on tombe dans une toile d'araignée, car, mangé ou non, on finit par y mourir...