Bonsoir,
Effectivement, il est difficile de trouver une référence qui propose une explication claire et exhaustive de la fonction exacte de cette structure soyeuse particulière qu'est le stabilimentum, et ce, même si on potasse de grands ouvrages en arachnologie. Par exemple, FOELIX (1996) [>>"Biology of Spiders, 2nd edition" (Oxford University press), que je recommande à toute personne désireuse d'approfondir la biologie des araignées ; c'est la base indispensable...], mentionne plusieurs probabilités, dont les plus vraisemblables seraient, selon lui, soit le camouflage, soit l'attractivité pour certains insectes -les pollinisateurs, par exemple, réagiraient positivement à la réflection des UV provoquées par le stabilimentum-
J'ai moi-même un peu cherché à comprendre son utilité, et pour cette raison, j'avais réalisé, entre autres, pas mal d'observations éthologiques sur le terrain sur
A. bruennichi et quelques espèces de genres proches (notamment
Araneus), et également comparé les toiles orbiculaires des unes et des autres, en complétant mes observation en me basant sur quelques références très intéressantes (ex : PASQUET (1982) : placement et sélection des proies chez les araignées d'une prairie -
Revue arachnologique, 4). Je vous propose donc le résultat de mes notes de façon très synthétisée et simplifiée en allant de suite à l'essentiel (cela n'apporte pas de réponse beaucoup plus précise, mais propose une autre approche du paramètre de "l'effort mécanique") :
Comparaison des toiles orbiculaires et de certaines particularités comportementales :
Argiope bruennichi :
-absence de retraite liée au moyeu ou a un des angles de la toile par un fil conducteur ;
-présence du fameux stabilimentum, verticalement, de part et d'autre du centre de la toile (en général) ;
-lorsque l'araignée est dérangée par un stimulus extérieur alors qu'elle est en faction au centre de sa toile, elle se laisse tomber vers le sol, entre les herbacées sous lesquelles est établi le piège ; elle est alors reliée par un fil conducteur au centre de sa toile, ou à proximité immédiate ;
-
A. bruennichi se nourrit d'une grande quantité de proies, mais les orthoptères représentent la majeure partie de son "menu", étant donné le placement du piège dans le biotope (plus exactement, la position de son piège dans la strate herbacée, soit 20 à 30 cm au dessus du niveau du sol)
-
Araneus quadratus :
-existence d'une retraite de
soie non loin du piège, reliée au centre de la toile par un fil conducteur ;
-absence du stabilimentum ;
-lorsque l'araignée est dérangée alors qu'elle est en faction au centre de sa toile, elle retourne systématiquement dans son repaire en remontant le fil conducteur ;
-A. quadratus se nourrit de proies diverses, dont d'insectes volants (hyménos, diptères...), mais de bcp moins d'orthoptères qu'
A. bruennichi, le piège de la première étant placé plus haut dans le biotope (50 cm à 1 m)
-
A. diademateus :
-Même constatations globales qu'
A. quadratus pour cette espèce ubiquiste qu'on trouve dans de nombreux écosystèmes, tandis que les deux premières affectionnent les pelouses et autres prairies relativement ensoleillées ; notons que le piège peut être situé encore plus haut que
quadratus (j'en ai observé jusqu'à 2 m du sol, et il est possible qu'elle puisse s'établir encore plus haut ; jamais vu à moins de 50 cm du sol ; jamais vu non plus cette araignée dévorer des orthoptères, mais par contre bcp d'insectes aériens tels que ceux cités pour
quadratus)
-
A. marmoreus :
-Voir
A. quadratus
-
Aculepeira ceropegia :
-Ici, la retraite n'est pas aussi fermée et cachée que chez
Araneus (elle est constituée par une simple petite
cupule de
soie, sur laquelle l'araignée se réfugie ou se tient parfois) mais elle existe tout de même et est reliée à la toile également. L'araignée s'y rend également si on la dérange. Pas de stabilimentum.
-la toile est située de 50 à 70 cm de sol environ. La capture orthoptères semble rare.
Etc. car mon attention s'est portée aussi sur d'autres espèces voisines des
Araneus sur le plan de l'organisation
orbiculaire.
Ce qui m'a amené à me rendre compte des analogies/différences suivantes :
-Les
Araneus,
Aculeipera (et aussi
Mangora,
Larinioides...) possèdent tous une retraite reliée au piège par un fil (ou directement à un des angles de la toile), leur permettant de se réfugier en cas de dérangement causé par un éventuel prédateur ; il est rare que l'araignée se laisse tomber au sol ; ceci est inexistant chez
Argiope bruennichi, dont la seule méthode de fuite consiste à se laisser tomber au sol en étant reliée par un fil au centre de sa toile ;
-Les
Argiope bruennichi dévorent de nombreux orthoptères, qui sont de vigoureux insectes mettant le piège de cette araignée à "rude épreuve" lors de leurs bonds ; chez les
Araneus, la capture d'orthoptères semble au maximum occasionnelle, voire inexistante selon l'espèce
découlant de ceci :
-le stabilimentum est lié à l'absence de retraite soyeuse ; en effet, l'observation est similaire chez
Argiope lobata et d'autres ; et vice-versa, les araignées filant une retraite spéciale ne fabriquent pas de stabilimentum ;
-le régime alimentaire diffère: les proies capturées par les unes d'un côté, et par
A. bruennichi de l'autre, sont, dans une mesure de diversité et de fréquence, différentes ;
Il est alors permis d'entrevoir deux hypothèses :
-le stabilimentum est donc lié à la particularité de l'absence de retraite où l'araignée peut se cacher, et donc aussi au fait qu'
A. bruennichi se laisse choir au sol au bout de fil de
soie, le poids de celle-ci exerçant une force mécanique vers le bas à partir du centre ; on peut penser que le stabilimentum permet de limiter cet effort mécanique ;
-le stabilimentum est lié à la place du piège dans le biotope, et donc indirectement aux proies capturées par
A. bruennichi, en l'occurence les orthoptères (principalement) ; son rôle pourrait alors être de renforcer mécaniquement la toile.
La première hypothèse me semble plus judicieuse, car tout comme vous, je pense aussi que l'hypothèse d'une résistance mécanique accrue grâce au stabilimentum quant aux proies capturées est négligéable (nécessiterait toutefois bien des mesures et observations supplémentaires que nos pauvres suppositions pour en juger...) : en effet, pour une proie tombant ailleurs que dans l'axe centro-vertical du stabilimentum, ça me semblerait vraiment d'aucune utilité... En revanche, la résistance à une pression exercée du milieu vers le bas (dûe à la chute de l'araignée au bout d'un fil de
soie), elle bien dans l'axe du stabilimentum, me semblerait plausible, mais là aussi, des mesures et observations bien plus approfondies seraient nécessaires. La réflection des UV évoquée par FOELIX est elle aussi intéressante, mais me semble négligeable dans le cas précis de
bruennichi qui ne capture qu'occasionnellement des pollinisateurs.
Voilà, rien de précis et d'exhaustif bien évidemment, mais ça montre l'ampleur d'un problème qui pourrait sembler bien anodin à 1ere vue
Cordialement,
Etienne
PS : la suite des identifications au prochain épisode, ce sujet intéressant fait vite passer le temps et il se fait tard ! Toutefois Kev' ou d'autres pourront sûrement intervenir.