Il faut suivre les auteurs asiatiques, et pas européens, qui sont plus rigoureux dans leur démarche, et l'important travail de
Gao & al. 2013.
Historiquement, nous avions un
roeselii, sombre, à
rostre court, sur aulne, et un
longiceps, clair, à
rostre long, sur platane.
Carayon (1989) a trouvé des "
roeselii" sur platane dans le sud de la France. Ces spécimens se rapprochaient de
roesellii par la morphologie, mais vivaient sur platane. Il a également démontré que le cycle complet pouvait s'effectuer sur le platane.
Hoffmann a ensuite découvert des "
longiceps" sur platane, d'abord à Francfort, puis dans d'autres villes, qu'il a déterminé comme "
longiceps", sur la
base de la longueur du
rostre. Puis Barclay en a trouvé à Londres, qu'il a comparé aux "
roeselii" nicçois (
sensu Carayon). Les deux n'ont trouvé aucune différence.
Hoffmann a mené une analyse génétique, dans laquelle des spécimens de
roeselii de différentes provenances ont été comparés aux
longiceps de référence, c'est-à-dire...
CEUX DE FRANCFORT !!!
Hypothèse intéressante d'Hoffmann : et si Carayon s'était tout simplement trompé dans sa détermination ? Effectivement, Carayon (1989) est notamment cité par Péricart (1998), qui est ensuite cité à son tour comme LA référence incontournable en matière de Lygéides européens. Effectivement, Carayon ne s'étend pas trop sur la détermination, et développe plutôt la biologie, ce qui n'a plus été remis en question par la suite. (J'ai, quelque part, le papier de Carayon (1989), celui de Barclay, et les nombreux articles d'Hoffmann dans
Heteropteron, mais c'est un peu long à tout retrouver, et je cite de mémoire... J'essaierai de faire une revue bibliographique plus détaillée un jour...) L'hypothèse est intéressante car, si Carayon s'est trompé et a étudié des
longiceps morphologiquement proches de
roesellii, alors il n'y a tout simplement jamais eu d'observation de
roeselii faite sur platane, et toutes les observations faites sur platane se réfèrent en fait à
longiceps... Ce qui permet d'identifier l'insecte par sa plante hôte !
Sa démarche pour le démontrer : une analyse génétique, qui ne trouve aucune différence entre les "
longiceps" francfortains (d'Hoffmann) et les "
roeselii" du platane (
sensu Carayon). Conclusion : les deux sont de la même espèce, donc Carayon s'est trompé, ses "
roeselii" sont en fait des
longiceps, faisant de
longiceps la seule espèce sur platane.
C'est l'opinion à laquelle se rangent tous les auteurs allemands et britanniques (et assez largement d'autres pays du nord), faisant suite à Hoffmann, et à Barclay, qui lui a emboîté le pas.
Les français sont plus sceptiques : suivant Péricart (1998), qui soulignait la confusion entre les deux, on se demande s'ils ne seraient pas conspécifiques. Même Edessa, quelque part ici, nous a exposé sa démarche de comparaison des séquences de
roesellii et
longiceps (dispo en ligne, sur GenBank par exemple). Il n'a trouvé aucune différence significative, et estime qu'il s'agit de la même espèce. Donc,
roeselii (Schilling, 1829) ayant l'antériorité,
Arocatus longiceps n'existe plus et est un synonyme de
roeselii. J'ai effectivement retrouvé les mêmes résultats de mon côté. MAIS : j'ai cherché la provenance des séquences de GenBank : l'essentiel provient, notamment, des importants travaux de
phylogénie moléculaire des Lygaeinae de l'équipe de
Bramer & al., 2015 (qui inclut notamment Jürgen Deckert...

), équipe... allemande, dont les séquences types de
longiceps proviennent toutes... de Francfort.
Qu'est-ce qu'on a démontré au final ? Que les populations sombres, à longueur de
rostre variable, et ressemblant à des
roeselii en provenance des platanes européens appartiennent toutes à la même espèce (les "provençaux" de Carayon, ceux de Francfort, puis de divers coins d'Allemagne d'Hoffmann, les niçois puis londoniens de Barclay et enfin les alsaciens), qu'Hoffmann voudrait baptiser
longiceps, là où Carayon voyait plutôt des
roeselii.
Reste qu'il y a une autre hypothèse que l'on n'a pas envisagée : et si c'était
Hoffmann qui s'était trompé dans sa détermination des "longiceps" de Francfort (qui, comme ceux de Carayon repris ensuite par Péricart, ont ensuite été repris en référence) ? On se retrouverait avec des
roeselii allemands du platanes identiques des alsaciens, londoniens, et provençaux. Bizarrement, cette hypothèse n'a pas fait l'objet de tellement d'attention.
La seule référence valable pour la détermination est la
référence au type ayant servi à la détermination de l'espèce, ce que ni Carayon, ni Hoffmann, n'ont fait. Je considère donc que
les deux (et tous ceux qui les ont repris par la suite) ont potentiellement pu se tromper, et je traite leurs déterminations avec prudence.
Pour résumer, on a quatre populations :
- une population historique et typique de
roeselii, sur aulne, à
rostre court, en Europe de l'Ouest
- une population typique de
longiceps sur platane de Méditerranée orientale, à
rostre long
- une population douteuse, à longueur de
rostre très variable, sur platane, en France, Allemagne et Grande Bretagne, génétiquement uniforme, et à laquelle il faut probablement ajouter les populations de péninsule ibérique, d'Italie, et du Bénélux (similaires et probablement identiques, mais n'ayant pas à ce jour fait l'objet d'une analyse génétique). Il pourrait s'agir de l'une ou l'autre des deux espèces, ou pourquoi pas même d'une troisième, pour ce qu'on en sait - si tant est que les deux existent, ce qui n'est pas établi.
- et une probable "quatrième" population, de "vrais"
longiceps orientaux dispersés ça et là sur les platanes européens, où ils pourraient être mêlés à la troisième population, et donner lieu aux différentes mentions historiques plutôt fiables hors Méditerranée orientale. Je les crois en limite de distribution.
Une remarque à prendre en compte : si l'on compare la taille des strobiles d'aulne, aux glomérules de platanes, nettement plus gros, une hypothétique population de
roeselii (qu'elle soit nouvellement apparue, ou ancienne et nouvellement découverte, cela ne change rien) inféodée aux platanes plutôt qu'aux aulnes aurait tout intérêt à avoir un
rostre plus long pour pouvoir se nourrir sur cette nouvelle plante, et l'on pourrait s'attendre que la sélection naturelle aille dans ce sens. Si l'on considère
roeselii et
longiceps comme deux espèces valables, la première vivant sur aulne et platane, et la deuxième exclusivement sur platane, il n'y aurait absolument rien d'étonnant à voir une convergence évolutive entre les
longiceps et les
roeselii du platane en ce qui concerne la longueur du
rostre.
La chose ne serait pas nouvelle chez les hétéroptères, et des phénomènes évolutifs impliquant la longueur du
rostre ont déjà été mis e évidence, notamment chez
Jadera haematolomea, avec le passage à des fruits de tailles différentes.
Donc dans la mesure où l'on examine l'hypothèse (je n'ai pas dit qu'on la retenait...) d'une population de
roeselii inféodée aux platanes, et où l'une des conséquences possibles de cette hypothèse serait l'existence de
roeselii au
rostre plus long, que penser de ce critère de détermination pour séparer les deux espèces ?
Il se trouve que j'ai, au labo, un échantillon auquel l'année écoulée ne m'a pas encore permis de consacrer l'attention suffisante, de cinq spécimens mâles tous prélevés sur le même platane, et présentant un spectre complet de longueur du
rostre, atteignant à peine les
mesocoxae chez le premier et dépassant franchement les
metacoxae chez le dernier... Associé à un gradient de coloration (le premier nettement plus rougeâtre, le dernier beaucoup plus pâle, notamment au niveau des
appendices...). La clef de Péricart (1998) place le premier chez
roeselii et le dernier chez
longiceps, sans trop de souci, sur ce critère. Les proportions de la tête sont identiques, et placent l'ensemble de la séquence en
roeselii... Je n'ai pas encore eu le temps de les disséquer.
Alors, reste les travaux asiatiques, notamment l'importante revue du genre par Gao & al. citée plus haut. Ils ont tout simplement réexaminé les types de toutes les espèces du genre, et montrent une certaine incompréhension dans la confusion qui règne chez les auteurs européens... Forcément, puisqu'ils n'ont pas comparé les mêmes spécimens ! Gao a examiné, en plus du type, plusieurs
longiceps de Méditerranée orientale, et a trouvé certaines différences dans le
pygophore, plus des différences plus marquées dans les
paramères, entre
roeselii et
longiceps. J'aimerais bien voir la tête des
paramères des
Arocatus francfortais d'Hoffmann, juste pour voir...
Mon sentiment est que l'on est bien en présence d'une population de
roeselii sur platane, qu'elle soit nouvelle (réchauffement climatique, déboisement, disparition des aulnaies et des ripisylves...) ou non, avec probablement des séries de transitions et des formes de passages entre les deux (période de maturation différentes des deux fruits, abris différents pour l'
hivernation, les jeunes aulnes n'offrant pas le couvert des rhytidomes de platane...) Si cette population existe, on peut en effet s'attendre à ce qu'elle ressemble davantage à
longiceps (par un phénomène de convergence, tout simplement) que la forme nominale. Une proximité et un certain brassage génétique restent possible, mais moins probable, au vu des différences des
genitalia évoquées par Gao.
Ai-je mentionné que mes
Arocatus des platanes niçois (probablement les mêmes que ceux de Barclay) longent un fleuve où subsistent... des aulnes, arbre autrefois très abondant, et emblématique de la région niçoise (les
verna, ou
vernea nissarts...) ?
Battage prévus aux périodes de maturation des strobiles, affaire à suivre...