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[Parnassius apollo] Vie et moeurs de l'Apollon

Les papillons vous intriguent ?

Animateurs : bobabar, Gyp', Noisette, totor, PPer

jpv
Membre confirmé
Enregistré le : vendredi 3 décembre 2004, 23:33
Localisation : Vaucluse

[Parnassius apollo] Vie et moeurs de l'Apollon

Message par jpv »

Pour ne pas trop alourdir le post « les espèces qui régressent dans l’ombre », je déplace ici un complémént d’information sur l’Apollon qui intéressera peut être les nouveau venus à l’entomologie et qui ne connaissent pas forcément sa biologie.
Ce qui suit est extrait d’un rapport que j’avais rédigé à la demande de l’ONF sur l’état des populations du Mont Ventoux ;
C’est un peu pédant de se citer mais ça présente l’énorme avantage pour le paresseux que je suis de mettre plein de lignes sans effort (enfin, cette fois ci).

Alors que l’Alexanor, par son dynamisme, sa capacité à conquérir de nouveaux territoires, ne requiert pas de protection particulière, l’Apollon au contraire est très casanier et disparaît de nombreux territoires. Soyons clair, l’espèce n’est pas encore en voie d’extinction, mais sa disparition rapide et même subite de régions entières à de quoi inquiéter.
Il y a seulement trente ans, il était commun dans la majeure partie des massifs montagneux Français, au point de représenter, dans certaines stations, l’espèce la plus abondante des papillons de jour. Cette situation est celle qui prévaut encore dans les Alpes internes et les Pyrénées.
Partout ailleurs, c’est la régression ou la disparition. Il n’existe plus dans les Vosges. Dans l’immensité du Massif Central il ne subsiste que quelques noyaux très isolés à l’avenir incertain. Sa régression dans les Préalpes provençales et plus précisément du Diois aux Baronnies, est particulièrement nette.

Mais pour mieux comprendre les causes de ce déclin, il n’est pas inutile de brosser les grandes lignes de sa biologie.
L’Apollon est une relique des grandes glaciations comme en témoigne sa répartition exclusivement montagnarde sous nos latitudes. Paradoxalement c’est en Provence que l’on trouvait les stations les plus basses : 500m et parfois moins. Celle des gorges de la Nesque en est encore un rare exemple car depuis de quelques décennies l’espèce n’est plus observée dans la majorité des stations d’altitude inférieure à 900 m.

C’est par excellence, le papillon des grands espaces : plus c’est dénudé plus il prospère. Les bois, les forêts, même les hautes herbes sont autant de lieux inhospitaliers qu’il fuit instinctivement. Rien ne peut y retenir cet amoureux des éboulis, des pentes caillouteuses, des rocailles escarpées et même des précipices. C’est seulement dans ces endroits, de toutes part au soleil exposés, qu’il est véritablement à sont aise. On le voit, majestueux, parcourir en planant son territoire, franchir les ravins, dévaler les pentes à grande vitesse et les remonter avec la même énergie, insensible à la fatigue.
Mais qu’un nuage survienne et tout bascule. Le papillon qui l’instant d’avant vouait sa vie au ciel, brusquement devisse et se laisse tomber au sol. La brutalité de cette chute n’est atténuée que par ses grandes ailes qu’il maintient, à la façon d’un parachute, largement ouvertes, presque crispées. De grandes ailes blanches, à peine maculées de noir et de rouge ; et c’est là tout son problème. Alors que la majorité des papillons montagnards sont assombris, voire noirs pour mieux capter la chaleur du soleil, l’Apollon fait figure d’exception . La nature l’a doté d’un habit d’une blancheur éblouissante, lui imposant du même coup de ne pouvoir vivre qu’au soleil.
Cette exigence si impérieuse dicte sa répartition, mais ce n’est pas la seule. Outre l’altitude, il lui faut les plantes qui nourriront sa chenille, les orpins. Mais pas n’importe lesquels ; en Provence c’est Sedum album (Crassulacées), espèce commune certes, mais qui est loin d’être présente dans tous les éboulis. C’est avant tout affaire de granulométrie : trop fin, la surface est rapidement colonisée par une foule de plantes qui étouffent le débile Sedum, trop gros, celui ci ne peut plonger ses faibles racines suffisamment profond pour se nourrir.
Il n’a pas la chance de ses robustes cousins les Sedum telephium et roseum qui par leur racines puissantes explorent efficacement les profondeurs du sol sous les gros blocs des « casses » qu’ils animent de leur généreuse végétation. Ces 2 espèces absentes ou rarissimes au Ventoux, pourraient convenir aux apollons ; ce sont d’ailleurs elles qui les nourrissent, au moins en partie, dans le massif central pour la première et dans le Mercantour pour la seconde.

C’est encore au Soleil que la chenille passe sa vie. L’ombre arrive, elle se retire sous les pierres. Le soleil réapparaît, elle se dirige en hâte vers la sortie.
La table est mise tout près. Des succulents sédums elle ne va faire qu’une ventrée pense t-on ? Pas du tout ; elle les touche à peine ; nous avons à faire à un gourmet ; seuls les jeunes bourgeons l’intéressent. A peine une rosette est elle entamée qu’elle la quitte pour la suivante.
Si la nourriture vient à se raréfier, elle parcourt à grande vitesse tous les environs à la recherche des pousses tendres. Si d’aventure elle rencontre des consœurs, c’est une aubaine pour peu que le temps soit un peu frais. Avec leur robe noir velouté rehaussée de coquettes taches oranges, les chenilles se serrent les unes contre les autres et se transforment en un capteur solaire, minuscule mais efficace .
Ainsi se passe la journée d’une chenille d’Apollon. Errer, manger, se chauffer.
A ce régime d’épicurien, on prend rapidement de l’embonpoint et la chenille dodue, ne marche plus, elle ondule. Devenue petit boudin de graisse, elle s’agite en tous sens, délaissant les tendres pousses du sédum qui faisait ses délices l’instant d’avant. C’est le moment de la nymphose et le temps est compté. Il lui faut sans tarder trouver une cachette : le dessous d’une pierre mal appliquée au sol, quelques brindilles que le vent a rassemblées, une touffe d’herbe ; le choix est vaste et la chenille peu exigeante. L’essentiel est d’être à l’abri du soleil et suffisamment cachée.
Une fois l’endroit choisi, le travail peut alors commencer. Par une facétie de la Nature, alors que tous les papillons de jour (Rhopalocères) ont une chrysalide nue, dépourvue de protection, celle de l’apollon est enfermée dans un cocon. Oh ! Ce n’est pas le cocon raffiné du ver à soie, fait d’un unique fil de soie fine, ni même celui très rustique du grand paon de nuit, non ; c’est un ouvrage rudimentaire où l’informe le dispute au grossier. Peu experte en filature, la chenille se contente de réunir par des fils de soie divers débris trouvés sur place. L’ouvrage est rapidement bâclé. A quoi bon faire un château quand une cabane suffit ? De fait, à l’intérieur de cette demeure improvisée, les choses vont vite. Deux semaines plus tard le papillon fraîchement éclos quitte sa cachette.
Mais auparavant, il doit sortir de ce cocon qui de protecteur hier devient gène aujourd’hui. Le papillon doit se dépêtrer de ces fils de soie qui sont autant d’entraves vers la sortie. Il lui faut repousser petits cailloux, brindilles, morceaux de feuilles qu’étant chenille il a rassemblés. Tout cela prend du temps. Et justement ce temps, il l’a.
Très logiquement la Nature lui a donné, comme à tous les fileurs de cocons, la faculté indispensable de différer la croissance des ailes. Pour tous les autres papillons de jour à chrysalide non enterrée, leur déploiement est immédiat et commence même avant le complet dégagement de la chrysalide.
Chez l’Apollon rien de tel. Il garde ses ailes miniatures une demi heure, une heure même. C’est largement le temps qu’il lui faut pour se dégager et gagner le grand air. Il ne lui reste plus qu’à trouver une éminence sur laquelle il grimpe à la recherche de l’endroit le plus propice à l’allongement des ailes. Quelques heures plus tard il est prêt. C’est midi, le soleil chauffe dur. Tout ce qu’il faut pour s’élancer enfin vers le ciel.
Enfin, pas pour tous. Si c’est une femelle, pas d’impatience, pas de hâte à vouloir quitter son perchoir. Chargée d’œufs, le ventre rebondi, lourde, elle répugne à s’envoler. Autour d’elle les mâles patrouillent inlassablement. Très vite elle est repérée. L‘un d’eux lui fond dessus, et sans plus de préambules s’unit à elle. Autant les préliminaires sont expédiés, autant pour la suite on prend son temps. L’accouplement dure plusieurs heures. En fait, encore une originalité de l’Apollon, cette durée excessive s’explique par une activité annexe à la copulation proprement dite. Il s’agit pour le mâle de secréter une sorte de poche cornée, volumineuse et très résistante, le sphragis, qu’il fixe solidement au niveau des voies génitales femelles leur interdisant de facto tout accouplement ultérieur. La meilleure façon de s’assurer une paternité exclusive et le plus sûr moyen de transmettre ses gènes.
Et c’est ainsi que, munie de cette ceinture de chasteté, la femelle Apollon, pendant son mois de vie, dispersera ses œufs au gré de ses vagabondages. Disperser est le mot. Elle ne les pond pas précisément sur les sédum, pourtant bien fleuris à cette époque, mais un peu tout autour, sans règle précise. A la chenille de se débrouiller de chercher sa pitance.
Nous sommes loin de l’Alexanor qui prend un soin extrême à déposer ses œufs sur les inflorescences du Ptychotis ; à peine née, sa chenille n’a qu’à ouvrir la bouche pour trouver le repas servi . La brouteuse de Sédums, n’a pas la même chance, et c’est à ses capacités de coureuses qu’elle doit de ne pas mourir de faim.
A cette négligence maternelle, la nature supplée par un grand nombre d’œufs : une grosse femelle m’a donné en captivité près de 400 œufs, et encore, est elle morte sans avoir tout pondu.
Au reste, ces œufs au chorion très épais, auront à subir la sécheresse et les chaleurs torrides de l’été, plus tard, les orages de l’automne avec le risque mortel d’être emportés au loin, enfin, les grands froids de l’hiver, avec des gelées intenses si la neige n’est pas au rendez-vous . Au total, c’est pas loin de huit mois d’aléas climatiques qu’aura à traverser l’œuf. Pourtant, trois semaines après la ponte, la petite chenille est déjà bien formée à l’intérieur. Mais elle est totalement diapausante, et c’est grâce à ce repos forcé qu’elle pourra passer tous ces mois sans encombres.
Une sortie prématurée au cours de l’été équivaut pour elle à un suicide. Elle trouverait à cette époque des sédums rabougris, durcis par le soleil. Elle qui ne peut digérer que des pousses tendres ne tarderait pas à périr. De surcroît, l’adulte qui en résulterait n’éclorait qu’à l’automne, époque des frimas, des soleils voilés, du temps gris, toutes conditions opposées à celles qui lui permettraient de vivre.

Le maintien des populations d’Apollon pose de réels problèmes. Son manque d’opportunisme, sa répugnance à quitter les lieux qui l’ont vu naître, ses exigences écologiques très strictes, sont autant d’handicaps qui rendent sa protection difficile à mener.
jpv

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Euphydryas
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Enregistré le : dimanche 20 mars 2005, 21:19
Localisation : Nîmes (30)

Message par Euphydryas »

A mince j'ai répondu trop vite car sur l'autre post...
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tcand
Membre confirmé
Enregistré le : vendredi 15 septembre 2006, 23:16
Localisation : Andorre

Vie et moeurs de l'Apollon

Message par tcand »

jpv a écrit :pour le paresseux que je suis ...
J'ai du mal à le croire, vu le soin habituel et la longueur des messages (long et interessant) :lol:

Merci pour ces informations qui m'ont interessé et beaucoup appris sur un de mes papillons préférés.

Eric
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Gyp'
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Enregistré le : vendredi 22 avril 2005, 17:34
Localisation : MIDI-PYRENEES (sud-Occitanie).

Message par Gyp' »

Un grand merci à jpv pour cette passionnante page naturaliste à propos de ce symbole de la liberté montagnarde qu'est Parnassius apollo .... :0013:
Jean-Pierre.

"Dans ma rétine brillait l'éclat du monde. Alors je me suis mis à pleurer. Communiant, ému des beautés de la vie" . Fred Durand - "Le troubleau" - Ed. STOCK.
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Asterix
Membre confirmé
Enregistré le : jeudi 16 novembre 2006, 17:57
Localisation : Saône-et Loire

Message par Asterix »

Rarement pris autant de plaisir a lire, et pas seulement sur ce post.
Merci à toi jpv et plus généralement a tous ceux qui participent sur le forum
Gabin "je sais qu'on ne sait jamais"
Sergio 26
Membre confirmé
Enregistré le : jeudi 28 septembre 2006, 17:31
Localisation : Drôme

Message par Sergio 26 »

Concernant P.apollo et un site que je connais bien ,les gorges de la Roanne ,dans le Diois ,le papillon était très fréquent dés 400m d'altitude
sur les talus en bordure de route et ceci sur plusieurs kilomètres jusqu'au années 87/88 puis disparition totale ;une des causes quasi certaine l'extension de la route avec laminage total des talus qui depuis reste denudées et trop abupts car erodés sans cesse par les pluies d'orage.
les colonies situées un peu plus haut vers 700/800m dans des biotopes intacts n'ont pas diminuées .Autre probleme soulevé par JPV les éclosions précoses, en 97 mon collégue Jean-Noel Vincent à observé plusieurs individus à 800m début Mai et en 2003 deux spécimens le 29 mai à 1500m toujours dans le Diois.
Pour l'Ardèche il y a toujours quelques colonies prospères dans l'une il vole avec son compère Driopa mnemosyne moins commun certes et plus tôt en saison.
Sergio
basc
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Enregistré le : lundi 14 août 2006, 13:20
Localisation : Haute Corse

Message par basc »

:0003: Passionnant, magnifiquement conté, une histoire naturelle digne de ce nom! :0003:
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kristof
Membre confirmé
Enregistré le : jeudi 16 septembre 2004, 19:17
Localisation : MORBIHAN

Message par kristof »

Merci jpv pour ce magnifique documentaire passionnant de bout en bout.
Je me suis cru un moment en Ariège ou l'Apollon est encore bien présent.
kristof. :D
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Gyp'
Animateur—Admin-galerie
Enregistré le : vendredi 22 avril 2005, 17:34
Localisation : MIDI-PYRENEES (sud-Occitanie).

Message par Gyp' »

kristof a écrit :.....je me suis cru un moment en Ariège ou l'Apollon est encore bien présent.
kristof. :D
Ben oui : "nous" (les ariégeois) avons encore cette chance ...... c'est peut-être pour compenser la tristesse engendrée par le déclin économique du département ! :cry:
Jean-Pierre.

"Dans ma rétine brillait l'éclat du monde. Alors je me suis mis à pleurer. Communiant, ému des beautés de la vie" . Fred Durand - "Le troubleau" - Ed. STOCK.
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kristof
Membre confirmé
Enregistré le : jeudi 16 septembre 2004, 19:17
Localisation : MORBIHAN

Message par kristof »

Je sais bien que "vous "les ariègois vous avez un beau pays... :evil: Il fut une époque ou le Morbihan était encore vivable et nature mais actuellement la folie de l'immobilier et le bétonnage des côtes on fait des dégats irréversibles :cry: ...Mais il existe encore à l'intérieur des paradis à l'abris des hordes de touristes. :idea: Peut être à une époque lointaine volait l'Apollon ...dans les monts d'Arrée (300m d'altitude environ.
kristof. :wink:

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