Ce qui suit est extrait d’un rapport que j’avais rédigé à la demande de l’ONF sur l’état des populations du Mont Ventoux ;
C’est un peu pédant de se citer mais ça présente l’énorme avantage pour le paresseux que je suis de mettre plein de lignes sans effort (enfin, cette fois ci).
Alors que l’Alexanor, par son dynamisme, sa capacité à conquérir de nouveaux territoires, ne requiert pas de protection particulière, l’Apollon au contraire est très casanier et disparaît de nombreux territoires. Soyons clair, l’espèce n’est pas encore en voie d’extinction, mais sa disparition rapide et même subite de régions entières à de quoi inquiéter.
Il y a seulement trente ans, il était commun dans la majeure partie des massifs montagneux Français, au point de représenter, dans certaines stations, l’espèce la plus abondante des papillons de jour. Cette situation est celle qui prévaut encore dans les Alpes internes et les Pyrénées.
Partout ailleurs, c’est la régression ou la disparition. Il n’existe plus dans les Vosges. Dans l’immensité du Massif Central il ne subsiste que quelques noyaux très isolés à l’avenir incertain. Sa régression dans les Préalpes provençales et plus précisément du Diois aux Baronnies, est particulièrement nette.
Mais pour mieux comprendre les causes de ce déclin, il n’est pas inutile de brosser les grandes lignes de sa biologie.
L’Apollon est une relique des grandes glaciations comme en témoigne sa répartition exclusivement montagnarde sous nos latitudes. Paradoxalement c’est en Provence que l’on trouvait les stations les plus basses : 500m et parfois moins. Celle des gorges de la Nesque en est encore un rare exemple car depuis de quelques décennies l’espèce n’est plus observée dans la majorité des stations d’altitude inférieure à 900 m.
C’est par excellence, le papillon des grands espaces : plus c’est dénudé plus il prospère. Les bois, les forêts, même les hautes herbes sont autant de lieux inhospitaliers qu’il fuit instinctivement. Rien ne peut y retenir cet amoureux des éboulis, des pentes caillouteuses, des rocailles escarpées et même des précipices. C’est seulement dans ces endroits, de toutes part au soleil exposés, qu’il est véritablement à sont aise. On le voit, majestueux, parcourir en planant son territoire, franchir les ravins, dévaler les pentes à grande vitesse et les remonter avec la même énergie, insensible à la fatigue.
Mais qu’un nuage survienne et tout bascule. Le papillon qui l’instant d’avant vouait sa vie au ciel, brusquement devisse et se laisse tomber au sol. La brutalité de cette chute n’est atténuée que par ses grandes ailes qu’il maintient, à la façon d’un parachute, largement ouvertes, presque crispées. De grandes ailes blanches, à peine maculées de noir et de rouge ; et c’est là tout son problème. Alors que la majorité des papillons montagnards sont assombris, voire noirs pour mieux capter la chaleur du soleil, l’Apollon fait figure d’exception . La nature l’a doté d’un habit d’une blancheur éblouissante, lui imposant du même coup de ne pouvoir vivre qu’au soleil.
Cette exigence si impérieuse dicte sa répartition, mais ce n’est pas la seule. Outre l’altitude, il lui faut les plantes qui nourriront sa chenille, les orpins. Mais pas n’importe lesquels ; en Provence c’est Sedum album (Crassulacées), espèce commune certes, mais qui est loin d’être présente dans tous les éboulis. C’est avant tout affaire de granulométrie : trop fin, la surface est rapidement colonisée par une foule de plantes qui étouffent le débile Sedum, trop gros, celui ci ne peut plonger ses faibles racines suffisamment profond pour se nourrir.
Il n’a pas la chance de ses robustes cousins les Sedum telephium et roseum qui par leur racines puissantes explorent efficacement les profondeurs du sol sous les gros blocs des « casses » qu’ils animent de leur généreuse végétation. Ces 2 espèces absentes ou rarissimes au Ventoux, pourraient convenir aux apollons ; ce sont d’ailleurs elles qui les nourrissent, au moins en partie, dans le massif central pour la première et dans le Mercantour pour la seconde.
C’est encore au Soleil que la chenille passe sa vie. L’ombre arrive, elle se retire sous les pierres. Le soleil réapparaît, elle se dirige en hâte vers la sortie.
La table est mise tout près. Des succulents sédums elle ne va faire qu’une ventrée pense t-on ? Pas du tout ; elle les touche à peine ; nous avons à faire à un gourmet ; seuls les jeunes bourgeons l’intéressent. A peine une rosette est elle entamée qu’elle la quitte pour la suivante.
Si la nourriture vient à se raréfier, elle parcourt à grande vitesse tous les environs à la recherche des pousses tendres. Si d’aventure elle rencontre des consœurs, c’est une aubaine pour peu que le temps soit un peu frais. Avec leur robe noir velouté rehaussée de coquettes taches oranges, les chenilles se serrent les unes contre les autres et se transforment en un capteur solaire, minuscule mais efficace .
Ainsi se passe la journée d’une chenille d’Apollon. Errer, manger, se chauffer.
A ce régime d’épicurien, on prend rapidement de l’embonpoint et la chenille dodue, ne marche plus, elle ondule. Devenue petit boudin de graisse, elle s’agite en tous sens, délaissant les tendres pousses du sédum qui faisait ses délices l’instant d’avant. C’est le moment de la
Une fois l’endroit choisi, le travail peut alors commencer. Par une facétie de la Nature, alors que tous les papillons de jour (Rhopalocères) ont une
Mais auparavant, il doit sortir de ce cocon qui de protecteur hier devient
Très logiquement la Nature lui a donné, comme à tous les fileurs de cocons, la faculté indispensable de différer la croissance des ailes. Pour tous les autres papillons de jour à
Chez l’Apollon rien de tel. Il garde ses ailes miniatures une demi heure, une heure même. C’est largement le temps qu’il lui faut pour se dégager et gagner le grand air. Il ne lui reste plus qu’à trouver une éminence sur laquelle il grimpe à la recherche de l’endroit le plus propice à l’allongement des ailes. Quelques heures plus tard il est prêt. C’est midi, le soleil chauffe dur. Tout ce qu’il faut pour s’élancer enfin vers le ciel.
Enfin, pas pour tous. Si c’est une femelle, pas d’impatience, pas de hâte à vouloir quitter son perchoir. Chargée d’œufs, le ventre rebondi, lourde, elle répugne à s’envoler. Autour d’elle les mâles patrouillent inlassablement. Très vite elle est repérée. L‘un d’eux lui fond dessus, et sans plus de préambules s’unit à elle. Autant les préliminaires sont expédiés, autant pour la suite on prend son temps. L’accouplement dure plusieurs heures. En fait, encore une originalité de l’Apollon, cette durée excessive s’explique par une activité annexe à la copulation proprement dite. Il s’agit pour le mâle de secréter une sorte de poche cornée, volumineuse et très résistante, le sphragis, qu’il fixe solidement au niveau des voies génitales femelles leur interdisant de facto tout accouplement ultérieur. La meilleure façon de s’assurer une paternité exclusive et le plus sûr moyen de transmettre ses
Et c’est ainsi que, munie de cette ceinture de chasteté, la femelle Apollon, pendant son mois de vie, dispersera ses œufs au gré de ses vagabondages. Disperser est le mot. Elle ne les pond pas précisément sur les sédum, pourtant bien fleuris à cette époque, mais un peu tout autour, sans règle précise. A la chenille de se débrouiller de chercher sa pitance.
Nous sommes loin de l’Alexanor qui prend un soin extrême à déposer ses œufs sur les inflorescences du Ptychotis ; à peine née, sa chenille n’a qu’à ouvrir la bouche pour trouver le repas servi . La brouteuse de Sédums, n’a pas la même chance, et c’est à ses capacités de coureuses qu’elle doit de ne pas mourir de faim.
A cette négligence maternelle, la nature supplée par un grand nombre d’œufs : une grosse femelle m’a donné en captivité près de 400 œufs, et encore, est elle morte sans avoir tout pondu.
Au reste, ces œufs au
Une sortie prématurée au cours de l’été équivaut pour elle à un suicide. Elle trouverait à cette époque des sédums rabougris, durcis par le soleil. Elle qui ne peut digérer que des pousses tendres ne tarderait pas à périr. De surcroît, l’adulte qui en résulterait n’éclorait qu’à l’automne, époque des frimas, des soleils voilés, du temps gris, toutes conditions opposées à celles qui lui permettraient de vivre.
Le maintien des populations d’Apollon pose de réels problèmes. Son manque d’opportunisme, sa répugnance à quitter les lieux qui l’ont vu naître, ses exigences écologiques très strictes, sont autant d’handicaps qui rendent sa protection difficile à mener.