La notion de natio développée ici amène à mon sens plus de questions que de réponses à mes interrogations. J'ai donc tenté de me faire une idée du sujet en comparant le cas des carabes à ce qui s'observe chez d'autres groupes d'insectes.
Ma question principale consiste alors à me demander si les polymorphismes observés ne peuvent-ils pas simplement être la conséquence de phénotypes différents s'exprimant sous l'influence de facteurs certes endogènes mais aussi et surtout
exogènes ?
Ces facteurs
exogènes me semblent jouer un rôle non négligeable dans ces histoires de « formes / natio ». Peut-on à partir de là présupposer d'une quelconque variabilité génétique ?
Puisque Sat' apprécie, je vais la faire « courte »...
Il est évident que le développement et la morphogenèse des insectes sont moins soumis à l'influence des facteurs
exogènes que les végétaux qui y sont très sensibles (les végétaux sont plus ma partie

mais le parallèle est tout à fait faisable).
Sauf erreur de ma part, les particularités anatomiques et fonctionnelles des insectes peuvent néanmoins tout aussi bien se trouver modifiées dans le cadre d'un même pool génétique de départ. Cela s'observe fréquemment chez les phasmes, y compris chez les espèces parthénogénétiques qui, bien que n'étant pas à proprement parler des clones puisqu'il existe des recombinaisons génétiques (par crossing-over), conduisent à l’obtention de descendants femelles légèrement différents de la femelle dont ils sont issus. Il est évident que dans ce cas précis les différences génétiques sont minimes mais cela n'empêche pas une variabilité phénotypique parfois très forte tant pour la taille que pour la coloration !
Les facteurs
exogènes influant le phénotype de chaque individu ou population peuvent tout aussi bien être la température, la luminosité, l'humidité que la nutrition ou toute autre activité fonctionnelle.
Généralement, les transitions observées sont fluctuantes d'un individu à l'autre ou d'une « population » à l'autre en raison de la variabilité même de ces facteurs
exogènes.
En comparant le cas des Carabes énoncé dans ce fil, aux cas de variabilité intraspécifique que je connais, cela m'amène à quelques considérations générales.
D'une manière générale, la taille du corps des imagos va dépendre de l'alimentation des larves, quid alors de la variabilité intraspécifique dans les tailles observées chez les imagos d'une micro-population occupant une « niche écologique » un tant soit peu différentes d'une autre micro-population ?
Pour rester dans cet ordre d'idée la durée du développement influencera aussi la taille de l'
imago et cette durée de développement est directement liée à la température.
Ce ne sont ici que quelques idées montrant à quel point la variabilité de taille des individus au sein d'une population ne dépend pas nécessairement de facteurs génétiques mais bien de facteurs épigénétiques. Et si deux populations ayant le même pool génétique de départ fréquentent des milieux différents, il semble alors évident que l'une et l'autre auront des caractéristiques morphologiques différentes tout en restant interfécondes appartenant donc ainsi à la même espèce ou sous-espèce. Peut-on alors parler de natio et si oui, quelle est la validité réelle de ce terme dans ce cas précis ?
Si je m'attarde sur le cas des
morphes liés à la coloration, le cas bien connu d'
Habrobracon juglandis chez les Hyménoptères me laisse assez interrogatif quant à la validité des natios chez les coléoptères. Je m'explique :
La pigmentation de cet Ichneumon varie avec la température, tant est si bien que les populations vivant dans des milieux « froids » présentent une coloration sombre et que les populations de milieu plus chaud présentent une coloration claire. Et il en va de même pour leur taille selon la température.
Il s'agit pourtant et toujours de la même espèce interféconde !
Ce cas de variation de pigmentation intraspécifique n'est pas rare et se rencontre fréquemment chez d'autres groupes (Mantes, Phasmes et que dire des papillons avec les formes mélaniques de
Biston betularia !). Doit on pour autant appliquer le même raisonnement qu'aux Carabes et parler de « natio » ?
L'idée me semble un peu scabreuse en fait...
Pour quitter 2 secondes les insectes, que dire aussi des variations de coloration chez les araignées comme les Thomises allant du jaune au rose selon les conditions du milieu de vie, ces variations sont parfois généralisables à de micro populations mais il s'agit pourtant toujours de la même espèce. Natio ???
Ces quelques exemples semblent bien montrer qu'au delà des variations « intra-population », une certaine stabilité de la réponse phénotypique s'observe à l'égard des facteurs
exogènes. Les individus tendant à réguler leur organisme afin de compenser les fluctuations du milieu de vie (réponse face à la température, la luminosité, le substrat, réponse face aux ressources alimentaires disponibles pour le développement des larves...)
Tout le monde admettra que d'une manière générale, lorsqu'un certain nombre d'individus d'une même espèce vivent dans un même espace, certains caractères individuels varient autour d'une moyenne. Ces variations résultent d'un grand nombre de facteurs
exogènes aléatoires ayant soit une influence « inhibitrice » causant par exemple une diminution de taille ou tout au contraire une influence « positive » favorisant une taille plus importante et le plus souvent on obtient ainsi une belle courbe de Gauss comme pour toute population répondant à une loi Normale. Ceci s'observe pour les individus au sein d'une population. Il est néanmoins possible de généraliser ceci à des populations au sein d'une espèce sans que cela n'ait aucun lien avec une quelconque différence génétique entre les individus.
Les potentialités phénotypiques alternatives sont certes déterminées génétiquement au départ mais elles sont par contre généralement communes à tous les individus d'une population spécifique et elles peuvent par conséquent engendrer des variations phénotypiques très importantes aboutissant à l'existence de
morphes très différents et pourtant génétiquement identiques au sein de cette même population.
Ce fait est admis de tous je pense et ne me faites donc pas dire que c'est moi qui l'invente pour les besoins de mon post !
L'étude de ces quelques exemples semble donc bien indiquer que la variabilité génétique ne soit pas responsable de ces
morphes chez les Coléoptères pas plus que chez les autres insectes (pourquoi les coléos seraient-ils différents des autres groupes de ce point de vue ?) mais qu'il s'agit plutôt de l'influence de facteurs
exogènes qui peuvent et surtout doivent être pris en considération pour expliquer les phénotypes observés.
Ceci ne présuppose donc pas selon moi d'une quelconque variabilité génétique intergroupes qui puisse légitimer ces « infrataxons » comme des entités taxonomiques à part entière.
Auquel cas, seules des études moléculaires seraient à même d'infirmer que la seule influence
exogène n'est pas imputable aux phénotypes observés et donner ainsi plus de crédit au profit d'une supposée variabilité génétique intergroupe qui reste tout de même fort peu probable, admettons le !
Pour sortir un peu du contexte, que dire alors des variations phénotypiques temporaires (dimorphismes saisonniers) comme c'est le cas chez les populations de certains papillons. Que penser aussi des dimorphismes de contact telles que les formes solitaires et sociales comme chez certains criquets. Il serait inconcevable de parler de natio car ce sont des cas extrêmes mais si on y réfléchit bien, les natio défendues bec et
ongle pour certains cas plus ambigus de populations de coléoptères sont elles pour autant plus légitimes ?
Un cas « extrême » est très bien illustré avec le papillon
Papilio dardanus dont les différents phénotypes femelles ont dupé les lépidoptéristes pendant longtemps alors que le mâle présente un phénotype identique sur tout le continent africain ! Et c'est pourtant la même espèce partout quelque soit le
morphe.
Je sens qu'il y a comme toujours une histoire de corpora allata dans ces histoires de taille et de coloration !
Plus de questions que de réponses c'est évident, mais la légitimité du terme « natio » ne me semble finalement pas très évidente au regard de tout cela puisqu'elle pourrait tout aussi bien s'appliquer chez les Hyménoptères, ou d'autres groupes, sans aucune légitimité taxonomique.
Son utilisation provient plus, selon moi, du fait que les Carabes constituent un groupe très étudié et que certains auteurs tiennent absolument à mettre un nom sur les phénotypes observés au sein de certaines populations sans que cela relève objectivement d'une réalité génétique.
Ceci n'est bien entendu que le point de vue extérieur d'un non Carabiste qui ne connaissait pas cette notion de « natio » et qui a voulu se faire une idée sur le sujet.
Ces conclusions n'engagent que moi mais j'ai tenté d'être le plus objectif possible avec mon regard extérieur et je tenais à vous faire part de mes impressions sans, je l'espère, froisser qui que ce soit.
A+
Je ne fais pas de discrimination, je hais tout le monde...