J'ai déjà fréquemment observé la bestiole sur la tomate, mais je n'ai jamais pu la prendre en train de s'y attaquer, non plus que je n'ai pu observer la moindre trace de piqûre sur les fruits... Mon hypothèse était que furculus est capable de s'attaquer aux tomates en l'absence de Morelle, mais qu'il préférait de loin sa plante-hôte habituelle...
Les couleurs rouges et noires des Lygaeinae sont
En ce qui concerne S. furculus, la Morelle noire qui est sa plante-hôte habituelle est très riche en solanine, un alcaloïde. J'ai pu observer que larves comme adultes y effectuent la quasi totalité de leur développement, et ne s'en éloignent jamais de plus de quelques mètres. En cas de disparition de la plante-hôte (cas du fauchage, cet automne, du lit du Paillon, avec destruction de la quasi-totalité des morelles), d'autres plantes peuvent leur servir de refuges (j'ai par la suite retrouvé quasi-systématiquement tous mes individus sur Senecio inaequidens), mais je n'y a pas observé de comportement alimentaire.
Mon hypothèse est que S. furculus doit être capable de stocker la solanine dans ses tissus, tout en y étant immunisé : il serait intéressant de faire un dosage de ces toxiques dans les différentes parties du végétal, et dans l'insecte, cela pourrait être très riche d'enseignement.
La Tomate est extrêmement intéressante pour trois raisons :
- premièrement, c'est une proche cousine de la Morelle, une Solanacée également, placée dans le même genre, Solanum
- deuxièmement, elle n'est pas, du moins ce qui concerne les fruits (la partie consommée par l'insecte) toxique, et ne contient pas de solanine : sa consommation par l'insecte aurait donc uniquement un but alimentaire, ne permettant pas d'assurer sa protection par un gain de toxicité.
- troisièmement, et, surtout, la Tomate, contrairement à la Morelle, est une plante cultivée, c'est-à-dire que si S. furculus s'y attaque, il peut alors être considéré comme un ravageur de certaines cultures, d'où un intérêt accru pour la recherche le concernant, puisque plus de débouchés (et, du coup, plus de crédits pour la recherche également...)
On peut sans peine imaginer qu'en cas de dommages faits aux cultures, l'utilisation de la Morelle en tant que plante compagne pourrait peut-être présenter un intérêt, notamment en agriculture biologique, puisque l'insecte semble de toute évidence la préférer à la tomate lorsqu'il a les deux à sa disposition ; et le ramassage manuel sur Morelle ne présente pas de difficulté particulière, compte tenu de la faible mobilité. La période de fructification de la Morelle recoupe largement celle de la tomate, ce qui rend la chose encore plus possible. Cependant, il s'agit d'une plante toxique, ce qui pourra limiter son utilisation (jardins pédagogiques, par exemple, ou cueillette par le particulier, le risque d'intoxication pour l'Homme en cas d'ingestion de fruits de Morelle étant réel...)
Il existe également un Tachinide qui parasite les Spilostethus furculus en France, et qui pourrait, s'il était identifié, peut-être constituer un potentiel auxilliaire de lutte biologique ?
Ce ne sont bien sûr que des hypothèses de terrain, nées de mes observations, et loin d'être vérifiées expérimentalement, mais dont la portée potentielle est intéressante... C'est la raison pour laquelle je m'intéresse de si près à S. villosum et S. dulcamarum : également proches parents de S. nigrum, elles pourraient également constituer des plantes-hôtes tout à fait acceptables, d'autant que, contrairement à S.lycopersicum (la Tomate), elles sont, elles, bien toxiques, et pourraient donc profiter à l'insecte en contribuant à sa protection.
A condition que les toxiques soient les mêmes, et qu'ils ne soient pas dangereux pour l'insecte ! Pour le moment, les observations ne permettent pas de démontrer sa présence sur S. villosum, ce qui semble étonnant compte tenu de sa proximité avec S. nigrum, et irait à l'encontre de mes hypothèses, mais il y a tout de même des indices qui vont dans ce sens : traces de piqûres sur certains fruits, même si la punaise elle-même n'était pas visible ; dans les milieux où S. villosum était totalement épargnée, S. nigrum l'était également, et aucune punaise n'a pu être observée : je crois qu'il s'agit en fait tout simplement d'un problème de répartition des deux espèces. S. dulcamare est nouveau pour moi sur le site, j'essaierai de voir comment cela évolue cette année, cependant, il est un peu plus éloigné des autres, et possède quelques toxiques différents, donc je n'émets pour le moment aucune hypothèse concernant son statut de potentielle plante hôte alternative...
En tous cas, première observation avérée (à ma connaissance), d'un comportement déjà très largement supposé, je te remercie beaucoup pour nous l'avoir présenté, cela confirme et fait avancer beaucoup de choses...