09/05
Quels groupes composent les myriapodes et comment les différencier ? Est-il vraiment justifié de réunir les 4 classes actuelles de myriapodes dans le sous-phylum "Myriapoda" ? Voici une tentative de réponse très simplifiée à ces questions que peuvent se poser le néophyte s’intéressant aux invertébrés tout comme le naturaliste confirmé qui étudie la faune du sol.
Rappelons tout d’abord qu’actuellement, le sous-phylum des Myriapoda comprend 4 classes :
– Diplopoda
– Chilopoda
– Pauropoda
– Symphyla
Présentation simplifiée de la morphologie des 4 classes
sous forme d’une courte clé d’identification :
– 1) Ventralement, sous la tête, une paire de pattes modifiée en de puissants crochets à venin (forcipules) ; une seule paire de pattes par segment. Opisthogonéates................ Chilopoda (cliché 1 et cliché 5)
– 2) Deux paires de pattes par segment ou "anneau"............ Diplopoda (cliché 2, cliché 3 et cliché 4)
– 3) 12 paires de pattes et une paire de filières au dernier segment. Au plus 8-9 mm........ Symphyla
En complément de cette clé, pour les deux classes les plus importantes en nombre d’espèces (Diplopoda : env. 11 000 espèces et Chilopoda : env. 3 200-3 300 espèces décrites), et aussi les plus aisées à observer de part leur taille :
L’unité des myriapodes sous-entendue par la réunion de ces 4 classes dans le sous-phylum "Myriapoda", est de plus en plus controversée avec les avancées en phylogénie les concernant.
Il apparaît que les chilopodes d’un côté, et de l’autre les diplopodes, symphyles et pauropodes, pourraient ne pas être liés par un ancêtre commun (et donc ne pas être un groupe monophylétique) comme l’ont pensé pendant longtemps de nombreux auteurs. Déjà, en 1930, BROLEMANN soulignait le groupement artificiel que représentait les 4 classes réunies sous ce taxon "Myriapoda".
En effet, un premier doute fût jeté par l’étude du système génital des myriapodes, qui montre une différence fondamentale dans son organisation selon la classe considérée :
les chilopodes sont opisthogonéates (organes génitaux situés à l’extrémité postérieure du corps, comme chez les insectes) ;
les diplopodes, symphyles et pauropodes sont progonéates (organes génitaux situés à l’avant du corps, dans les segments dit "thoraciques").
Ensuite, la connaissance de la métamérisation de ces animaux a évolué, et a apporté des éléments divers sur le sujet. Dans un premier temps, on a pensé que "tout myriapode était fondamentalement diplopode" comme citait DEMANGE dans son travail de 1967 sur la segmentation des diplopodes chilognathes et des chilopodes. Un peu plus tard, il est apparut que la conviction selon laquelle le segment double ou "diplosegment" existait chez tous les myriapodes (au minimum à l’état reliquaire suite à des examens de la musculature, bien que seuls les diplopodes présentaient des diplosegments visibles extérieurement) était erronée et que seuls les diplopodes auraient été pourvus de ces segments (et le sont toujours), mais non les autres myriapodes (MANTON, 1974).
La question de l’ontogénèse fut aussi abordée par les auteurs, et sur ce plan, les chilopodes s’éloignent encore des diplopodes, symphyles et pauropodes. Les premiers comprennent en effet une pléthore d’espèces à développement purement épimorphe [4], d’autres à développement hémi-anamorphe [5], et avancé-anamorphe (chez les cratérostigmes, un ordre méconnu de chilopodes australiens ressemblant à vue à des lithobies) [6] (PRUNESCU, 1969), contrairement aux seconds qui ont un développement strictement anamorphe [7].
Enfin, l’étude des pièces buccales a aussi révélé des différences entre les uns et les autres, les chilopodes étant à nouveau de ce point de vue considérés comme étant différents des 3 autres classes ; ces dernières, par contre, présentent une fois de plus des analogies entre elles.
En résumé, selon l’hypothèse exposée ci-dessus, le groupe des "Myriapoda" formerait un ensemble dit polyphylétique [8], et donc purement artificiel (DOHLE, 1988) : ce groupe réunirait en réalité deux groupes, avec d’un côté les chilopodes (Chilopoda), et de l’autre les diplopodes, symphyles et pauropodes qui semblent dériver d’un ancêtre commun (groupe des "Progoneata").
Tout serait ainsi quasiment entendu si des études moléculaires ne venaient pas compliquer davantage la situation. En effet, les résultats de celles-ci semblent jouer en faveur de la monophylie des myriapodes sur certains aspects (EDGECOMBE & GIRIBET, 2002), si bien qu’il demeure difficile de trancher pour l’une ou l’autre solution. Sur le plan taxonomique, le taxon de "Myriapoda" est toujours valide et a rang de sous-phylum d’après les bases de données telles que Fauna Europea.
A niveau plus élevé, les liens de parenté entre insectes, crustacés et myriapodes sont eux-mêmes problématiques, car il existe deux orientations partiellement opposées : d’une part, les groupes de myriapodes sont liés aux hexapodes en un taxon appelé "Atelocerata" au sein duquel la position des chilopodes demeure problématique (séparation entre les groupes Chilopoda et Progoneata), d’autre part les hexapodes sont réunis avec les crustacés sous un taxon "Tetraconata", tandis que les myriapodes sont réunis dans un ensemble monophylétique "Myriapoda".
On peut dire que l’étude phylogénique des myriapodes a encore de beaux jours devant elle et déborde très largement du cadre de cette modeste introduction ! Plus que jamais, la question de LECOINTRE & LE GUYADER (2001) reste d’actualité et nous ramène indirectement à celle de notre titre : "un problème phylogénique crucial n’est toujours pas résolu : les myriapodes sont-ils monophylétiques ?".
Bibliographie
Remarque : sauf mention contraire, les clichés sont de l’auteur.
Merci à Benoît et Stéphane pour leur contribution photographique.
J’aimerais recueillir votre avis sur cet article, voir le forum spécialisé.
Merci de vos commentaires !
Bien cordialement, Étienne
[1] soies particulières aux diplopodes pénicillates (Penicillata) ; elles ont une forme grossièrement semblable à celle d’une massue, et sont disposées en touffes sur les anneaux du corps
[2] nom dérivé du taxon désignant une des deux sous-classes de diplopodes : Chilognatha ; une des particularités principales de ce groupe est de posséder un "gnathochilarium" (pièce résultant de la transformation d’anciennes mâchoires)
[3] nom dérivé du taxon désignant une des 4 classes de myriapodes : Chilopoda
[4] segmentation totalement développée au sortir de l’œuf chez les géophiles et scolopendres ; pour cette raison, les premiers stades post-embryonnaires sont nommés "adolescens" et non "larve"("larva")
[5] chez les lithobies et scutigères, la larve sort de l’oeuf avec une segmentation incomplète ; par exemple, le stade I ("larva 0" ou "foetus" de Lithobius (Lithobius) forficatus (L., 1758) (Lithobiomorpha, Lithobiidae) possède 7 paires de pattes constituées et 1 paire de bourgeons (ANDERSSON, 1976 ; IORIO, 2004) ; 5 mues seront nécessaires avant que cette espèce n’acquérisse le nombre définitif de segments pédifères (15) au stade "agenitalis". Cependant, ce premier stade à segmentation complète de L. (L.) forficatus est encore loin d’être adulte, et la maturation des organes génitaux, l’accroissement de la taille, la complexification des organes sensoriels et de la spinulation se poursuivront encore au fil de plusieurs mues.
[6] le stade I de Craterostigmus tasmanianus Pocock, 1902, seul représentant connu de l’ordre Craterostigmomorpha, naît avec 12 paires de pattes, ce qui est quasiment le nombre de paires de pattes de l’adulte (15).
[7] la larve sort de l’œuf incomplètement segmentée et acquiert les autres segments pédifères au fil des mues, jusqu’au stade adulte
[8] groupe dérivant de plusieurs espèces ancestrales